Le grand évènement annuel qui s’adresse à tous les licenciés est le Championnat de France, où les joueurs de tout niveau (du débutants aux champions) peuvent se côtoyer. Depuis le COVID, il arbitre les Nationaux et est donc à l’honneur de cette rubrique : l’arbitre international Akkhavanh Vilaisarn, de ວຽງຈັນ à Bastia.

Peux-tu te présenter, pour ceux qui ne te connaissent pas encore ?

Akkha Vilaisarn, 51 ans, « la jeunesse de la vieillesse» comme dit Victor Hugo, et j’espère la jeunesse d’un peu de sagesse.

J’ai commencé à arbitrer il y a longtemps maintenant, un peu comme tous les arbitres : pour rendre service à leur club.
J’insiste sur ce point : les arbitres sont des gens qui essaient de bien faire et qui donnent de leur temps pour rendre service, c’est souvent comme cela que l’on met un pied dans l’arbitrage.

Je suis Maître Fide et Arbitre International depuis 2009. Dans la hiérarchie des arbitres internationaux, je suis passé catégorie B cette année.

Je suis également président de la Ligue Corse des Echecs depuis 4 ans maintenant, poursuivant le formidable travail de Léo Battesti. En près de 25 ans, la Ligue Corse a formé plus de 50 mille jeunes, sur une population de 340 mille habitants.

Comment es-tu arrivé à être l’arbitre principal des Nationaux (lors des éditions 2022, 2023 et 2024) ?

Je pense que la Fédération Française m’a sollicité pour arbitrer le National pour mon expérience dans l’organisation (c’est utile d’avoir cet œil d’organisateur pour une vision globale et anticiper les problèmes) ainsi que mon expérience d’arbitrage du haut niveau, surtout en rapide et en blitz (où la tension et la pression sont importantes).

J’ai une bonne expérience des tournois de haut niveau, notamment en Corse où ont joué les meilleurs joueurs depuis plus de 20 ans. J’ai secondé Stéphane Escafre (que je voudrais remercier au passage) lors de plusieurs Grand Chess Tour à Paris. J’ai aussi arbitré la finale du Grand Chess Tour à Londres, le « British Knockout Championship », et plus récemment le championnat du monde junior de rapides et de blitz.

J’ai ainsi eu la chance d’arbitrer des joueurs comme Kasparov, Karpov, Anand, Kramnik, Carlsen, Ding, Nepomniachtchi, Nakamura, Caruana, MVL, Firouzja, Giri, So …

Si lors de tournois débutants, l’arbitre intervient sur des coups illégaux l’essentiel de son temps, pour ce type de tournoi, quelles sont les qualités requises ? Quel est le rôle de l’arbitre ?

En ce qui concerne le rôle de l’arbitre, à mon sens,  il serait plus juste de parler des rôles de l’arbitre.

D’abord un rôle technique : tirage au sort, appariement des joueurs, vérifier le matériel, régler les pendules, veiller au respect des règles du jeu etc.

Dans ces tournois de haut niveau, il faut être irréprochable techniquement, ne pas hésiter. Je ne veux pas sous-entendre que dans les autres tournois, vous pouvez faire des fautes mais dans les Nationaux du Championnat de France, les conséquences sont telles que vous ne devez pas faire de fautes (ce qui met une pression importante lors des interventions).

Il n’est pas utile de s’attarder sur cet aspect technique car la règle est simple : vous devez être au top techniquement.

Ensuite il y a tout l’aspect préventif : la prophylaxie, pour reprendre un terme échiquéen.

On prête cette phrase à Albert Einstein : « Une personne intelligente résout un problème, une personne sage l’évite. » Eh bien, c’est cette sagesse là qu’un bon arbitre doit avoir. La sagesse de régler un problème avant qu’il n’apparaisse. C’est pour moi l’aspect le plus difficile du rôle de l’arbitre et il faut beaucoup d’expérience pour cela.

Par exemple l’éclairage des échiquiers ne doit pas gêner les joueurs mais doit convenir à la retransmission vidéo. Mais, dans ces tournois de haut niveau, il faut aller plus loin, aller dans des détails comme la portée d’ombre des pièces sur les échiquiers à cause justement de l’éclairage. Cela n’a l’air de rien mais si un joueur est gêné pendant sa partie, il va vous le faire savoir ; vous allez trouver une solution mais le joueur sera déconcentré et cela peut perturber les échiquiers autours.

Il y a un millier de choses comme ça. Prévention et vérification en sont la clef.

Enfin il y a le relationnel avec les joueuses et les joueurs. La philosophie est la suivante : l’arbitre est là, au service des joueurs, pour que tout se passe bien. L’arbitre est le trait d’union entre les joueurs et l’organisateur. Entre les joueurs et le public, etc. Être souriant et être disponible pour répondre aux demandes.

Avec cette formule coupe, il y a des phases particulières. Comment ne pas passer pour des empêcheurs de tourner en rond  pour des joueurs stressés par une formule éliminatoire ? (Fair Play, gestion des départages, attente entre les parties, etc.)

La clef est la discrétion et l’écoute. Garder à l’esprit que l’arbitre est là, au service des joueurs, pour que tout se passe bien. Il faut donner et rappeler les informations rapidement (heure des départages, couleurs, temps entre les parties, temps qu’il reste avant la reprise du second blitz, combien de temps avant le début de l’Armageddon etc.). La difficulté est le bon timing pour donner ces informations ou pour notre intervention. Par exemple, après leur partie, les joueurs, souvent, échangent (très rapidement) sur l’échiquier, c’est un moment de décompression dont ils ont besoin. Il faut veiller à ce que cela ne gêne pas les échiquiers voisins et trouver le bon timing pour leur demander d’arrêter et d’aller se faire contrôler par l’arbitre en charge du fair-play. Un autre exemple : dès la fin de la 2e partie rapide, avant même leur demande, dire combien de temps ils ont avant le début des blitz et avec quelle couleur. Quelque part, vous rassurez les joueurs car le côté technique est géré.

Tour après tour, n’y a-t-il pas des relations particulières avec les joueurs et joueuses ? (des qualifications à l’Armageddon au bout de la nuit permettent de partager des moments particuliers).

Oui, il y a forcément des relations qui se créent, vu le temps passé à se côtoyer, ne serait-ce que des relations de courtoisie. Et puis, il est vrai que ce qui aide, c’est que les joueurs toujours présents, sont ceux qui ont gagné… et comme vous le savez, un joueur qui gagne est souvent de meilleure humeur.

D’une façon générale, cela se passe très bien car les joueuses et joueurs des nationaux sont d’une très grande correction.

Si tu devais lister les tâches de l’arbitre en chef de cette formule, quelles seraient-elles ?

Comme je l’ai dit plus haut, la clef est la prévention et la vérification.

Il y a d’abord tout un travail pour le tirage au sort des adversaires et des couleurs. Ce moment sert aussi de réunion technique d’information (travail d’explication concernant par exemple le déroulement des contrôles du fair-play, travail de prévention avec par exemple le rappel d’une tenue correcte, etc.).

Toujours dans la prévention, rappeler aux joueurs, la veille de chaque partie, l’heure, l’adversaire, la couleur et le déroulement des départages s’il y en a.

Avant chaque partie : vérifier tout ce qui est technique (éclairage, pendule, échiquier, stylos, feuilles, noms des joueurs, espace fumeur, salle de repos…).

Après la 2e partie longue, s’il y a lieu, bien communiquer aux joueurs les informations du départage. Vérifier tout ce qui est technique (éclairage, pendule, échiquier, noms des joueurs, salle de repos, espace fumeur, micro, chronomètre …). Vérifier que la retransmission technique soit prête. Vérifier également la gestion de la salle pour que le public ne gêne pas les joueurs. Evidemment la liste est non exhaustive.

Il est essentiel d’être 2 pour faire ce travail de mise en place et de vérification.

Il faut avoir une liste de ce qui doit être fait pour ne rien oublier et, lorsqu’une chose est faite, elle doit être vérifiée juste derrière pour éviter les problèmes. Et toutes ces vérifications se font avant chaque partie.

Certains disent que les arbitres sont payés à ne rien faire . Pour leur répondre, peux-tu nous donner ton emploi du temps sur une journée (exemple de la journée avec 2eme partie puis les départages le soir jusqu’à l’Armageddon).

Eh bien, s’ils pensent que l’arbitre ne fait rien, c’est que celui-ci a excellemment fait son travail de prophylaxie. Un bon arbitre n’est pas celui qui intervient avec des articles, mais celui qui n’a pas besoin de les utiliser.

10h à 11h : le matin, avec l’arbitre qui me seconde, Cyril Humeau, nous passons à la salle de jeu. C’est le moment de la mise en place (jeux, pendule, stylo, feuille, nom des joueurs…) et de vérification (éclairage, chaises, tables, salle de repos, boissons pour les joueurs, espace fumeur, grincement des portes, propreté des lieux…). C’est aussi le moment aussi où on essaie de voir s’il n’y aura pas d’imprévu sur des points où l’arbitre n’a pas la main (chauffage de la salle, soufflerie, retransmission des parties …) pour prévenir d’éventuels problèmes.

Préparation pour les départages (préparer les informations à communiquer aux joueurs dès la fin de leur partie longue…).

14h : être à la salle de jeu 1h avant la partie. La mise en place a été faite mais cela permet de vérifier (une nouvelle fois) et de s’assurer qu’il n’y ait pas d’imprévu ou d’agir le cas échéant.

15h à 20h : partie longue. Être en alerte sur le fair-play (joueurs, spectateurs…). Faires des relevés de temps toutes les heures. Anticiper les parties avec crises de temps. Bref, être présent avec discrétion….

20h-21h : Mise en place des rapides pour le départage tout en préparant les blitz possibles et l’Armageddon avec toutes les vérifications nécessaires.

21h-00h : Départages. Envoie des informations aux joueurs pour le lendemain (adversaire, couleur …).

Repas du soir. Fin de la journée.

Finalement, il y a beaucoup d’anticipation et de l’organisation dans le travail pour limiter les interventions sur l’échiquier, quels sont les échanges avec l’organisateur ? (Avant le tournoi, détail de la scène de jeu, les caméras, les spectateurs.)

L’essentiel du travail est surtout fait par l’arbitre en chef. Pendant ces 3 éditions, j’ai d’ailleurs pu côtoyer de très bons arbitres en chef. Cette année, Loriane Lebret, l’année dernière John Lewis à l’Alpes d’Huez et l’année d’avant, Cristo Dimitrov à Albi.

Les Nationaux sont des tournois spécifiques donc je participe à quelques réunions qui me permettent justement de soulever des problèmes spécifiques liés aux Nationaux. C’est beaucoup d’anticipation sur les conditions de jeu, le travail pour le fair-play, la gestion des spectateurs… Jean-Baptiste Mullon et Jordi Lopez ont une grande expérience et sont à l’écoute des demandes. Ils ont toujours une solution et cela se passe très bien. Pour les caméras de retransmission, on a une idée théorique mais la plupart du temps, le travail se fait sur place, concrètement, à coup de demandes et de négociations. Ces 3 années j’ai travaillé avec Etienne Mensch, d’une grande intelligence pratique et très réceptif aux demandes de l’arbitre (pour le confort des joueurs).

Avec ce format différent des opens du championnat, n’est-il pas un peu compliqué d’être totalement intégré dans l’équipe d’arbitrage ? Aide lors des départages, etc.

Il est vrai que le rythme des Nationaux n’est pas le même que celui des opens. Mais, comme je l’avais rappelé, les arbitres sont des gens qui essaient de bien faire et qui donnent de leur temps pour rendre service (c’est la motivation première et c’est comme ça d’ailleurs que l’on rentre dans le monde de l’arbitrage).

Mes collègues arbitres sont donc des personnes de bonne composition et le travail d’équipe se fait facilement. D’ailleurs, ils se proposent naturellement de donner un coup de main pour les départages. Cela est très utile car on n’a jamais trop d’arbitres ! On réduit souvent le travail de l’arbitre à ce qu’il se passe sur l’échiquier. C’est un fait. Surtout en rapide, en blitz ou en Armageddon où vous devez appliquer les règles avec tact et précision. Donc si vous avez un arbitre par échiquier, c’est très bien. Deux c’est encore mieux (un qui surveille les pièces et l’autre la pendule. D’ailleurs un arbitre qui finit son échiquier vient aider son collègue notamment pour surveiller le temps). Mais le secret d’un arbitrage réussi, c’est les conditions pour les joueurs, surtout lorsqu’ils sont stressés par la cadence et par l’enjeu. Il faut « arbitrer » les spectateurs, gérer les arrivants etc. Tout cela est un ensemble et tout cela forme une équipe.

Cette année un arbitre (Philippe Blot) était dédié au Fair-Play. Quel était l’impact pour l’arbitre des Nationaux ?

Il est agréable et efficace d’avoir un arbitre dédié au fair play et que nous (mon adjoint et moi) ne soyons là que pour donner un coup de main ponctuellement ou pour signaler des choses que nous avons notées. Cela permet de détacher le côté fair play, des règles du jeu à proprement parler. Cela donne au fair play une dimension à part entière, en cela, c’est très important. Le fair play permet aussi de rassurer les joueurs dans son rôle de prévention.

Bien évidemment que tout cela est très difficile à anticiper et à gérer. Je ne suis pas complètement naïf. C’est un aspect essentiel qu’il faudra développer et renforcer.

Vichy en 2025, encore de la partie ?

Lorsque la Fédération m’a demandé d’arbitrer à Albi en 2022, c’était assurément pour mon expérience du haut-niveau dans les parties rapides et blitz. C’était aussi pour le côté organisateur (qui permet de gérer et d’avoir une vision d’ensemble). Mais l’arbitrage n’est pas que technique (connaissance des règles etc.). Il est aussi humain (respecter les joueurs, être à leur écoute, gérer les caractères des uns et des autres…). Il est essentiel d’avoir la confiance des joueurs. J’ai eu de la chance, cela s’est bien passé. Alors la Fédération m’a redemandé pour l’Alpes d’Huez 2023 et 2024. J’ai eu de la chance, cela s’est bien passé.

Un bon arbitre doit être bon techniquement et un bon arbitrage se fait avec beaucoup de prévention, de vérification et de discrétion. Il faut de la chance aussi. Mais peut-être que, comme disait Churchill : « La chance n’existe pas; ce que vous appelez chance, c’est l’attention aux détails. »

Il y a des arbitres très compétents dans notre fédération qui peuvent arbitrer les Nationaux à Vichy en 2025. C’est bien de tourner.

Merci Akkha pour tes réponses détaillées. La lecture de nos échanges apporteront beaucoup d’éléments aux arbitres de tout niveau ainsi qu’aux organisateurs de tournois.

DNA Communication

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