Après une compétition de plus d’un mois, en terre étrangère mais fortement échiquéenne, l’Arbitre du Mois a trouvé enfin le temps de répondre dans le détail à nos traditionnelles questions …. Vous l’avez peut-être deviné : il s’agit de la World Cup à Sochi, compétition qu’il a maîtrisé de bout en bout, en étant qualifié jusqu’à la finale (le rêve des joueurs !) et de son Arbitre Principal, l’IA Laurent Freyd !

Bonne lecture !

Quel est ton parcours d’arbitre ?

Tout a démarré à Pâques 1997 avec un stage S3 animé par Charles-Henri Rouah au Havre – à l’autre bout de la France, comme je résidais en Alsace. A l’époque, la durée du stage était de 4 jours, le niveau d’entrée dans l’arbitrage était l’Arbitre Fédéral 3, les pendules étaient mécaniques et PAPI pas encore né !

Après un stage pratique au championnat d’Alsace jeunes l’année suivante avec Bernard Ritzenthaler, j’ai pu voler de mes propres ailes. Mon club de l’époque, le Cercle d’Echecs de Benfeld, était très dynamique et avait instauré un tournoi rapide de rentrée qui a attiré plus de 200 joueurs dès le début. Le président du club, Claude Lefevre, m’a fait confiance pour gérer l’arbitrage du tournoi. Ça plaçait la barre haut pour démarrer, mais j’ai toujours adoré les défis !

Dans la fin des années 90, j’arbitrais régulièrement dans les tournois Alsaciens, notamment à Vendenheim et Brumath.

Mes études m’ont ensuite mené en région parisienne et mon activité d’arbitre a joué un rôle clé dans mon intégration en Val d’Oise. A peine arrivé depuis 15 jours dans mon nouveau club, Cergy-Pontoise Echecs, j’arbitrais le championnat départemental en septembre 2000. La décennie 2000 a été l’occasion de gravir les échelons un à un. Un stage S2 à Metz tout d’abord, animé par Jean Boggio et Nadir Bounzou, lors duquel j’ai eu l’occasion de rencontrer plusieurs collègues impliqués dans la vie fédérale: Gérard Hernandez, Sylvain Rivier, Bernard Mas et un jeune DRA, Gilles Rivet pour n’en citer que quelques-uns.

En 2004, mon premier championnat de France des Jeunes à Reims, sous la direction de Jean-Christophe Basaille, qu’on pourrait qualifier de « formation au réglage de pendule électronique »: arrivé assez tôt sur les lieux du tournoi, j’ai eu l’occasion de programmer une quantité phénoménale de pendules et j’en suis très heureux. Rien ne vaut la pratique pour être opérationnel avec un outil! A cette époque, Stéphane Escafre m’a approché pour rejoindre la DNA que j’ai intégrée ensuite comme Directeur des traductions jusqu’en 2016.

En 2005 à Calvi, j’arbitrais le plus compliqué des tournois dans la carrière d’un arbitre: l’open B du championnat de France des jeunes. Et pour en faire un vrai challenge, après les rondes, je saisissais les parties dans la base de données ! Une étape que tout jeune arbitre dynamique se doit de cocher dans sa liste d’expériences!

2005 également, Championnat du Monde des Jeunes à Belfort, sous la direction de Jean-Claude Templeur. J’étais en charge du tournoi U14F. J’avais déjà officié dans beaucoup d’opens internationaux en France, mais ce championnat a été ma première expérience d’un tournoi officiel de la FIDE.

A cette époque, je faisais mes premiers pas de formateur d’arbitre, avec un stage pratique auprès de Francis Delboe – un régal de côtoyer un tel arbitre et professionnel de la formation!

2006, le président de la FFE Jean-Claude Moingt m’a fait confiance pour la direction du championnat de France des jeunes à Aix-les-Bains. C’est un tournoi dont je suis particulièrement fier, car j’avais réussi à réunir une équipe d’arbitrage véritablement mixte : 50% hommes, 50% femmes!

Cette année-là, j’obtenais mon titre d’arbitre FIDE et j’ai également eu l’occasion d’officier pour la première fois à l’étranger, au championnat d’Allemagne des jeunes, occasion unique de pratiquer l’arbitrage … en allemand !

En 2008, les Olympiades à Dresde ont marqué le véritable démarrage de ma carrière internationale. J’y ai rencontré l’organisateur du festival international de Gibraltar, Manuel Weeks, et depuis 2009, j’ai l’honneur d’y être arbitre, quand la pandémie le permet …

En 2009, je passais arbitre international.

Dans les années qui ont suivi, championnat d’Europe des Jeunes, championnat du monde vétéran … cela a été l’occasion pour moi de rencontrer des arbitres chevronnés comme Werner Stubenvoll et Christian Krause, qui m’intègrera ensuite dans la commission FIDE en charge du système suisse et des programmes d’appariement.

En 2010, j’organisais le premier stage pour Arbitres FIDE en France, animé par Stephen Boyd, à Clichy. Quelques semaines plus tard, j’arbitrais l’open FIDE du Championnat de Paris, un autre monument des échecs français.

Ensuite en 2011, Aix les bains accueillait le championnat d’Europe. C’était mon premier grand événement continental en tant qu’arbitre en chef. Je me rappelle avoir préparé la réunion technique avec Pavel Tregubov, pour que les diapos soient affichées simultanément en français, anglais et russe!

En 2012, un premier passage au London Chess Classic, en tant qu’arbitre en chef de l’Open.

2013 a été une année bien remplie, avec le prestigieux Mémorial Alekhine (Paris / St Petersbourg) au côté du fameux Boris Postovsky; le championnat du monde rapide et blitz à Khanty Mansiysk en tant qu’adjoint du non moins fameux Andrzej Filipowicz! Enfin, le président de la FFE Diego Salazar m’a également fait confiance pour être l’arbitre en chef de l’étape française du Grand Prix FIDE cette année-là ! Lors de ce tournoi, une réunion fondatrice de la commission FIDE de lutte contre la tricherie a eu lieu au siège de la FFE. J’ai ensuite rejoint cette nouvelle entité au niveau de la FIDE jusqu’en 2018.

En 2014, j’ai pu goûter aux joies des festivals de tournois fermés organisés par Christophe Philippe à Nancy!

Entre 2015 et 2020, de nouveaux tournois réguliers dans mon calendrier annuel: Bergamo et Porto Mannu en Italie, organisés par Yuri Garrett; Capechecs avec le trophée Karpov sous la direction de Pascal Vasseur; l’Open International de Lyon avec Christophe Leroy où règne toujours une atmosphère de match Karpov-Kasparov; le Festival International de Bienne en Suisse, véritable institution depuis plus de 50 ans avec Paul Kohler. C’est toujours un plaisir de voir les festivals évoluer d’année en année et de pouvoir apporter une pierre à l’édifice!

De 2017 à 2021, j’ai eu l’honneur de diriger la Direction Nationale de l’Arbitrage FFE. Je suis extrêmement reconnaissant à toute l’équipe de m’avoir suivi dans l’aventure. Il reste encore beaucoup à faire, mais nous avons mis en place une dynamique et initié des changements pour faire évoluer le secteur de l’arbitrage en France. Je souhaite tout le succès à la nouvelle équipe dirigée par John Lewis que j’ai vu grandir lors de ma vie Val d’Oisienne.

Pendant cette période, sous la présidence de Bachar Kouatly, j’ai aussi tenu le rôle de directeur du championnat de France des jeunes. C’est plutôt un rôle d’organisateur, mais il est utile de connaître les rouages de l’arbitrage pour bien le mener. Dans tous les cas, nous avons utilisé les championnats jeunes pour contribuer aux projets de la DNA: 2017, réunion DNA; 2018, réunion de formateurs.

Au niveau international, alors que j’arbitrais en principal le championnat du monde rapide et blitz à Saint Petersbourg fin 2018, j’ai eu l’honneur d’être nommé à la tête de la commission des arbitres de la FIDE par le président Arkady Dvorkovich. Fort de mon expérience à la DNA, je tâche d’y apporter vision, structure et esprit d’équipe pour apporter une véritable valeur ajoutée au secteur.

Avant la pandémie, 2019 a également été une belle année, avec l’étape Africaine du Grand Chess Tour en Côte d’Ivoire, le Grand Prix FIDE à Moscou et le Championnat du monde des moins de 12 ans en Chine.

Enfin, un nouveau challenge s’est offert à moi cet été: la coupe du monde à Sochi en Russie, en tant qu’arbitre principal. À part le tournoi des candidats qui a duré plus d’un an pour cause de Covid, c’est la compétition la plus longue que je connaisse, mais que d’émotions sur l’échiquier quand la seule solution pour continuer est de gagner le match!

Cher Dominique, je te remercie pour cette question, car l’espace d’un instant, elle m’a permis de me replonger dans tant de moments particuliers !

Quel est ton meilleur souvenir d’arbitrage ?

Il est très difficile pour moi d’isoler un souvenir en particulier. J’exagèrerais à peine en disant que chaque tournoi, chaque projet, est un « meilleur souvenir » en soi. C’est peut-être ce qui définit la passion?

Une anecdote qui illustre bien la magie des rencontres en tournois d’échecs. Ceux qui me connaissent un peu savent que j’ai un niveau d’exigence élevé et que je tâche de tout mettre en œuvre pour qu’un tournoi auquel je participe soit un succès. En 2005, alors que j’arrivais au championnat du monde des jeunes à Belfort, les délégations commençaient à arriver, mais les stands de pointage n’étaient pas tout à fait prêts. Naturellement, j’ai sorti mon ordinateur portable et commence à manipuler les données pour trouver un moyen d’aider mes collègues en charge de l’accueil. Et là, un grand gaillard Allemand s’est discrètement assis à côté de moi et tout naturellement, nous avons collaboré pour débloquer la situation. C’est ainsi que j’ai rencontré un grand ami, Rainer Niermann, avec qui nous partageons ces valeurs de travail et cet état d’esprit de recherche de solutions, au service des joueurs. Je crois que ça résume bien ce qu’un arbitre peut apporter en dehors du respect des règles bien entendu. Et surtout, ces rencontres qu’une passion commune peuvent offrir.

Au niveau symbolique, bien entendu, célébrer les 30 ans de la DNA à Lyon en septembre 2019, en présence notamment du fondateur de la DNA Christian Bernard, a été un moment vraiment très fort.

Quels sont tes projets dans l’arbitrage ?

A titre personnel, officier lors de mes « tournois récurrents » et contribuer à de nouveaux projets. Bien sûr, également partager ma passion lors de stages de formation à l’arbitrage. 

Au niveau de la FIDE, continuer à développer le secteur, via de nouveaux projets, notamment à destination des fédérations n’ayant pas de cursus fédéral aussi solide que celui que nous connaissons en France, par exemple.

Quels arguments as-tu pour inciter quelqu’un à devenir arbitre ?

Je dirais que le rôle d’arbitre est vraiment très complet, dans le sens où il fait appel à diverses compétences: connaissance des règlements, sens pratique, prise de décision, relations interpersonnelles, respect, partage … La liste pourrait s’étendre à l’infini !

Donc, si vous aimez les échecs, que vous êtes prêt à vous investir au service des autres lors de compétitions, toujours curieux d’apprendre et fier de partager vos connaissances avec de plus jeunes collègues, l’arbitrage vous apportera une nouvelle façon de vivre votre passion pour notre sport. Attention tout de même, votre relation avec les joueurs sera nécessairement différente de celle que vous connaissez en tant que joueur. Evitez le “mélange des genres”: l’arbitre a avant tout un rôle technique et votre mission sera d’autant mieux menée que vous serez focalisé sur ce rôle clé.

Le jeu en vaut la chandelle – c’est un investissement conséquent si vous voulez gravir les échelons, mais l’expérience est tellement riche à tant de niveaux ! Un projet de développement personnel « gagnant-gagnant » (pour vous et pour les organisateurs bénéficiant de vos services).

DNA Communication